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Critique du film « Entre les murs » proposée par Frédérik Brandy

 La tête contre les murs

Par Film phénomène, inattendue Palme d'Or au dernier festival de Cannes, "Entre les murs" rencontre un vrai succès public. Est-ce à dire que la question scolaire passionne les foules ? Ou peut-être l'explication réside-t-elle dans le battage médiatique exceptionnel et un peu suspect dont le film, réalisé par Laurent Cantet d'après le roman de François Bégaudeau, a bénéficié. Qu'il nous soit permis de confesser notre perplexité de spectateur et de citoyen devant un tel objet cinématographique, le plus triste et le plus profondément désespérant du moment. Les qualités formelles du film, marqué par une certaine désinvolture dans la construction des plans et le traitement de l'image, ne peuvent à elles seules retenir l'attention, alors que les motivations du cinéaste, qui ne tranche pas entre la réalité et la fiction ou plutôt joue constamment sur les deux tableaux, demeurent obscures. D'une part le dispositif choisi, tournage dans le collège même, utilisation d'acteurs non professionnels - les "vrais" professeurs, les "vrais" élèves, etc. - accrédite l'option d'une approche documentaire montrant l'école telle qu'elle est. Mais d'autre part, les situations et les comportements sont parfois tellement outrés ou aberrants qu'on peine à y croire. Dès le départ, la posture du prof de français (interprété par l'auteur) face à une classe d'adorables imbéciles incultes et grossiers est proprement invraisemblable. L'irresponsabilité de ce type, qui compte déjà quatre années de présence - on n'ose dire d'exercice - dans le même établissement, est sans limite, dans la mesure où, alors que sa pratique de dialogue permanent, d'égal à égal avec les élèves, a des résultats visibles et calamiteux, il la poursuit comme si de rien n'était. Il évolue dans un registre où, plus que la démagogie, c'est la rivalité sous-jacente qu'il entretient avec les enfants qui est la plus choquante, toujours au même niveau qu'eux, à la limite de provocation, avec l'effet boomerang qu'on peut imaginer. Et quand l'emblématique "pétasse" - in french in the script... - in fine, toute seule comme une grande, découvre et assimile La République de Platon alors que tout au long de l'année elle a été incapable de lire ou de formuler une phrase correcte, ça ne ressemble plus à de la fiction mais à une pure guignolade. Enfin, la scène du conseil de classe, où l'attitude des déléguées, indifférentes au sort de leurs camarades, rigolardes, bruyantes et insolentes, laisse les adultes sans aucune réaction, nous ramène, gags en moins, en plein âge d'or du navet comico-scolaire, quand les "Sous-doués" et leurs nombreux copains "passaient le bac" avant de "partir en vacances"... Même la question de l'immigration, fondamentale dans le contexte de ce collège parisien réputé "difficile", n'est pas traitée en tant que telle mais présentée comme une simple donnée dont il ne faudrait surtout pas discuter les causes et les conséquences. Sommant le spectateur de s'en tenir au règlementaire "enrichissement mutuel des différences", le film interdit toute réflexion sur un phénomène pourtant aux avant-postes de la domination capitaliste. Car si l'immigration massive est une chance, c'est d'abord pour le grand patronat européen qui se constitue ainsi un nouveau sous-prolétariat bien utile au moment de désamorcer les velléités populaires de revendications sociales. Mais Laurent Cantet semble avoir renoncé à toute vision de la lutte des classes telle qu'elle s'exprimait dans ses premiers films, pour mieux s'abandonner à un conformisme faussement humaniste et sourd à la réalité. Le scénario se permet même de présenter l'hypothèse du retour d'un élève malien dans son pays d'origine comme une épouvantable menace, sans voir la perversité raciste et la mentalité coloniale qui se cachent derrière ces indignations des bonnes âmes immigrationnistes eurocentrées, incapables d'appréhender d'autres aires culturelles comme aussi respectables et souhaitables que leur cocon marchand, démocratique et bourgeois. Dès lors, ce que les médias complaisants présentent comme "un laboratoire laïque de démocratie et de pédagogie citoyenne" ne serait-il pas plutôt un brûlot antirépublicain dissimulé derrière un écran de naïveté confinant à la candeur ? Devant l'incapacité du monde enseignant et la situation d'apocalypse décrites par le film, l'État sarkozyste aurait tort de modérer ses appétits de suppressions de postes au ministère de l'éducation autrefois "nationale". En effet, l'école publique menant si brutalement au désastre, quelle raison y aurait-il pour résister aux exigences des "politiques d'ajustement" réclamées tôt ou tard par la commission de Bruxelles ? De plus, le choc cinématographique aidant, c'est même avec l'assentiment du peuple ainsi préparé qu'on pourrait précipiter la privatisation d'un service public apparaissant comme déjà mort. Toutefois, un vrai moment de cinéma surgit, peu avant la fin. Dernier jour de l'année scolaire, le prof démago et faiseur de catastrophes demande à ses élèves de citer une chose, une seule, qu'ils auraient retenue des divers enseignements. Il s'en suit évidemment une succession de bouffonneries plus ou moins drôles et constamment navrantes, puis tout le monde s'en va. Ne reste qu'une élève, la plus silencieuse, la moins pénible de la classe. Elle se lève, s'approche de Bégaudeau (qui, lui, est déjà passé à autre chose) et lui balance avec une douce fermeté, une colère froide mâtinée de terreur intérieure, qu'elle n'a rien appris, rien compris à ce qui se passait entre ces murs. Jeu juste, effet dramatique, c'est un moment fort, poignant, qui aurait pu ouvrir les portes d'un final vertigineux et donner un sens au film. Mais non, tout est vite désamorcé par le brave prof qui rassure notre héroïne désespérée, on apprend que, comme les autres, elle passe dans la classe supérieure - en fin de 4ème elle ne sait pas lire, mais rien n'a d'importance... - et tout finit balle au pied, sous le soleil et dans la bonne humeur. Finalement, le film exhibe, sans prendre parti ni pour ni contre, sans choisir entre le constat et la dénonciation, sans dire si c'est un fantasme ou un avertissement, une école qui ne serait apte à former - avec un certain succès - que des footballeurs, des putes, des trafiquants, des caïds et des flics, beau bouillon de culture dessinant la matrice d'une société aussi fasciste qu'ultra-concurrentielle au service de laquelle les jeunes protagonistes de l'histoire, que seule réunit leur haine de la France et leur rejet des valeurs de la République, pourront s'engager avec ardeur, avec la bénédiction et la protection d'autorités elles aussi "mondialisées".

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